En plein mois d’août 2022, un projet d’arrêté a déclenché une horde de critiques de la part d’élus à propos de l’implantation des « dark stores », ces locaux qui proposent la livraison de courses et de plats en quelques minutes après leur commande en ligne.
Ce projet d’arrêté prévoyait d’intégrer ces locaux dans la sous-destination « commerces de détail » correspondant aux commerces traditionnels.
Plusieurs élus ont fait part de leurs craintes de ne plus être en mesure de maîtriser l’installation de cette nouvelle activité, qui est décriée tant par les villes que par les riverains.
A l’issue d’une réunion de concertation avec des élus locaux le 6 septembre dernier, Madame Olivia Grégoire, Ministre déléguée au Commerce, a finalement annoncé que les « dark stores » resteraient assimilés à des entrepôts. Un décret devrait être publié dans les prochains jours.
Comment expliquer un tel volteface ?
Le dark store : la traduction concrète d’un nouveau mode de consommation
Le dark store répond aux besoins logistiques d’un nouveau mode de consommation caractérisé par la rapidité et la souplesse des livraisons.
Cette forme de commerce a d’abord émergé dans les grandes métropoles et s’étend aujourd’hui dans de nombreuses villes françaises, après avoir été fortement avantagée par les mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire.
La promesse des entreprises du « quick commerce » est de livrer des courses à domicile en seulement 15 minutes après validation de la commande
par le consommateur.
Pour répondre à un tel engagement, ces entreprises doivent nécessairement disposer d’un réseau d’entrepôts implantés à proximité de leurs clients permettant la
préparation des commandes.
Ces lieux sont discrets, parfois invisibles pour les passants, tout en étant accessibles pour permettre aux livreurs de prendre les commandes.
Naturellement, les locaux commerciaux des centres villes présentent les caractéristiques idéales pour l’installation de ces espaces de stockage situés au plus
près des clients.
Un impact redouté par les villes
Les communes estiment que ces activités représentent une concurrence déloyale pour les commerces traditionnels de proximité dont la préservation est un
enjeu majeur qui est décliné dans les documents de planification urbaine, à l’échelle du PLU comme du SCOT.
Il est également reproché aux dark stores de dégrader l’image des centres-villes.
Ces petits entrepôts présentent en effet des vitrines opaques ou floquées des logos des entreprises du quick commerce ; ce qui leur vaut d’être qualifiées de boutiques
« fantômes ».
Par ailleurs, les livraisons à des heures inhabituelles représentent une source de nuisance sonore pour les riverains en raison du va et vient des scooters.
Rappelons qu’il incombe aux maires, dans le cadre de leurs pouvoirs de police, « le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que (…) les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique »(1).
L’installation des dark stores préoccupe donc à plusieurs égards les communes et les EPCI en charge de ces problématiques.
Le contrôle de l’implantation des dark stores à travers les documents d’urbanisme
Mis à part les éventuelles restrictions résultant des stipulations du règlement de copropriété de l’immeuble, l’installation d’un dark store sera uniquement soumise au
respect des dispositions règlementaires d’urbanisme.
En effet, l’installation d’un tel espace échappe, indépendamment de sa surface, au régime de l’autorisation d’exploitation commerciale dès lors qu’elle n’implique pas l’accueil d’une clientèle.
Plus précisément, son implantation est soumise à autorisation d’urbanisme dès lors qu’elle implique la réalisation d’une nouvelle construction, une modification
de l’aspect extérieur du bâtiment ou un changement de destination du local existant.
En fonction des travaux prévus, le projet d’installation sera soumis à simple déclaration préalable ou à permis de construire ; ce qui sera notamment le cas si le projet
implique, en plus d’un changement de destination ,une modification des structures porteuses ou une modification de la façade (2).
L’installation des premiers dark stores a d’abord bénéficié du flou juridique lié à l’identification délicate de la destination de ces espaces au sens des dispositions
des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l’urbanisme qui énumèrent les 5 destinations et 21 sous-destinations des constructions pouvant être réglementées
par les PLU (3).
Le gouvernement est ainsi intervenu par une instruction du 1er mars 2022 pour « préciser le cadre juridique dans lequel s’insère ce nouveau type d’activité ».
On y apprend notamment que les dark stores doivent être considérés comme des entrepôts, au sens du 5° de l’article R. 151-28 du code de l’urbanisme, à condition qu’ils ne comprennent pas de comptoir de retrait permettant à la clientèle de retirer directement la marchandise.
Par conséquent, les villes peuvent réguler l’implantation des dark stores en limitant ou en soumettant à des conditions particulières la sous-destination d’entrepôt
par leurs PLU.
Pour autant, le contrôle du développement des dark stores n’est pas si aisé qu’il n’y parait.
D’abord, les changements entre sous-destinations d’une même destination sont dispensés de toute formalités d’urbanisme lorsqu’ils n’impliquent pas de modification
des structures porteuses ou des façades des bâtiments de sorte.
Concrètement, cela signifie que l’installation d’un dark store dans des locaux anciennement utilisés comme des bureaux, appartenant à la même destination, ne sera
formalisée par aucun acte juridique si elle n’implique pas d’autres modifications.
De plus, selon l’instruction du 1er mars 2022 , dès lors que ces espaces mettent en place un système de « drive » avec un comptoir de retrait des marchandises
directement par la clientèle, les locaux basculent dans la destination de « commerces et activités de services », comprenant la sous-destination « artisanat et commerce
de détail », qui ne peut être différenciée des commerces traditionnels.
C’est une façon pour les dark stores de contourner la réglementation.
A cela s’ajoute que, cachés derrière des façades sans devanture, l’installation clandestine d’un dark store peut aisément restée cachée plusieurs semaines avant d’être
repérée. Une fois l’installation irrégulière découverte, les outils du droit pénal de l’urbanisme doivent être mobilisés par les maires (4).
Il faut toutefois compter plusieurs mois avant d’espérer obtenir une décision de justice ordonnant la remise en
état des lieux.
Il est à noter que le mécanisme de mise en demeure sous astreinte, créé par la loi Engagement et proximité du 27 décembre 2019, renforce le système de traitement
des infractions pénales d’urbanisme en permettant aux collectivités d’appliquer des sanctions financières par l’intermédiaire de la liquidation d’astreintes en parallèle de la procédure pénale (5).
Vers un maintien du contrôle de l’implantation des dark stores par les villes
Parmi les précisions et rectifications qui étaient envisagées par le projet d’arrêté ayant déclenché la polémique figurait l’intégration, dans la sous-destination
« commerce de détail », des « constructions commerciales avec surface de vente destinées à la présentation de biens ou à l’exposition de marchandises proposées à la vente au détail à une clientèle ainsi que les points permanents de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par
voie télématique », soit les dark stores.
Cette modification aurait mécaniquement pour effet de supprimer le principal outil de régulation de l’implantation de ces espaces dans les centres-villes c’est-à-dire le
contrôle des destinations et des sous-destinations des constructions par l’intermédiaire des dispositions réglementaires du PLU.
Concrètement, l’installation d’un dark store au lieu et place d’un commerce traditionnel ne serait plus considérée comme un changement de destination ou
même de sous-destination et échapperait alors à toute obligation d’autorisation d’urbanisme préalable.
Ce serait un passage en force des dark stores dans les centres-villes.
Face aux réactions des élus, le gouvernement a semble t- il pris conscience des enjeux de l’installation sans aucun contrôle de tels espaces dans les villes.
Le projet de texte qui est attendu dans les prochains jours devrait clarifier la qualification des dark stores selon les articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l’urbanisme et, à l’inverse du projet d’arrêté partiellement divulgué cet été, pourrait confirmer que ces espaces sont bien des entrepôts.
Les villes pourront alors décider, à l’occasion de l’élaboration ou de la modification de leurs documents d’urbanisme, de la place qu’elles souhaitent laisser à ces
espaces qui représentent une pratique de consommation nouvelle en plein développement.
Pour consulter l’ensemble de cet article paru, le 14 décembre 2022 sur le site www.gpomag.fr, cliquez-ici.
Les informations indiquées dans cet article sont valables à la date de diffusion de celui-ci.
Azoline Moreau
Avocat
azoline.moreau@oratio-avocats.com
1 - Article L. 2212-2, 2° du CGCT
2 - Articles R. 421-14 et R. 421-17 du code de l’urbanisme
3 - Dispositions applicables à tous les PLU appliquant la loi ALUR du 24 mars 2014
4 - Articles L. 480-1 et suivants du code de l’urbanisme
5 - Articles L. 480-1 à L. 480-3 du code de l’urbanisme