La loi d’habilitation en faveur de l’activité professionnelle, adoptée le 4 février 2022, a introduit différentes mesures permettant, notamment, de clarifier le cadre juridique des indépendants. L’article 7 de cette loi habilitait le gouvernement à réviser, par ordonnance, les règles plus particulièrement applicables aux professions libérales réglementées ; une disposition concrétisée par l’ordonnance n°2023-77 parue le 8 février 2023.
L’ordonnance n°2023-77 vise à réorganiser et à simplifier le cadre juridique de l'exercice en société des professions libérales réglementées. Le texte s'inscrit dans une démarche de clarification et de sécurisation des règles qui gouvernent ces professions, tout en favorisant leur développement.
Entrée en vigueur au 1er septembre 2024, l'ordonnance accorde un délai d'un an aux sociétés existantes pour s’adapter aux exigences du texte. Des décrets d’application afférents à chacune des professions libérales réglementées doivent venir compléter les dispositions de l’ordonnance, étant précisé qu’à ce jour le décret d’application pour les professions de santé et celui pour les professions techniques et du cadre de vie ne sont pas parus.
Les principaux apports du texte
Définition des professions libérales réglementées
L’ordonnance utilise, à présent, la simple formule de « profession libérale réglementée », indépendamment du mode d'exercice. Cette notion est définie comme suit :
« Les professions libérales réglementées groupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité ayant pour objet d'assurer, dans l'intérêt du client, du patient et du public, des prestations mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées ».
Ces professions « sont tenues, quel que soit le mode d'exercice de leur profession et conformément aux textes qui régissent son accès et son exercice, au respect de principes éthiques ou d'une déontologie professionnelle susceptibles d'être sanctionnés par l'autorité compétente en matière disciplinaire ».
Distinction de trois familles de professions libérales réglementées
Les professions libérales réglementées sont regroupées en trois familles :
1° La famille des professions de santé, regroupant les professions médicales (médecin, chirurgien-dentiste et sage-femme) ainsi que les autres professions de santé que sont, notamment, les professions de pharmacien, infirmier, ambulancier, masseur-kinésithérapeute, pédicure-podologue, orthophoniste, audioprothésiste, opticien-lunetier, diététicien, aide-soignant.
2° La famille des professions juridiques ou judiciaires, devant a minima viser les avocats (y compris au Conseil d’État et à la Cour de cassation), les notaires, les administrateurs ou mandataires judiciaires, ou encore les commissaires de justice (ex-huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires).
3° La famille des professions techniques et du cadre de vie, lesquelles correspondent notamment, aux vétérinaires (profession non visée par le Code de la santé publique, mais par le Code rural et de la pêche maritime), aux experts-comptables, aux commissaires aux comptes, aux architectes, aux géomètres-experts, aux experts fonciers et agricoles et experts forestiers.
Définition du « professionnel exerçant »
L’ordonnance faisant référence à plusieurs reprises à la notion de « professionnel exerçant » (notamment sur les notions de composition du capital social, d’agrément de cessions de titres), sa définition a été intégrée dès l’article 3 comme correspondant à trois critères de qualification :
- être une personne physique ;
- avoir qualité pour exercer la profession concernée, c’est-à-dire posséder les diplômes ou qualifications nécessaires, tout en étant inscrit au tableau de l’ordre ou sur la liste professionnelle prévue par la réglementation ;
- réaliser effectivement des actes relevant de sa profession, et ce, en toute indépendance, étant précisé que la seule réalisation d’actes de gestion ne confère pas la qualité de professionnel exerçant . Pourrait ainsi se voir refuser la qualité de « professionnel exerçant » la personne physique qui, remplissant par ailleurs les conditions pour satisfaire à cette qualification, accomplirait uniquement des actes de gestion en rapport avec l’exploitation de l’entreprise (comme l’embauche ou le licenciement de salariés, la recherche de nouveaux prestataires ou locaux…).
Définition de la « personne européenne »
Là encore, l’ordonnance faisant référence à plusieurs reprises à la notion de « personne européenne » (notamment sur la notion de composition du capital social), elle apporte la définition suivante :
« La personne physique ou morale établie dans un État membre de l'Union européenne autre que la France, dans un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans la Confédération suisse et qui exerce, dans l'un de ces États, une activité présentant les caractéristiques d'une profession libérale réglementée au sens de l'article 1er ».
Les principaux changements dans les sociétés d’exercice libéral (SEL)
Précisions sur les règles de détention du capital et des droits de vote
Pour rappel, les sociétés d’exercice libéral ne peuvent exercer la profession qui constitue leur objet social que par l’intermédiaire d’un de leurs membres ayant qualité pour exercer cette profession.
L’ordonnance précise ainsi que, sous réserve des dispositions propres à chaque famille de professions, plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une société de participations financières de professions libérales (SPFPL), par des professionnels exerçant au sein de la société.
Ces dispositions confirment ainsi la possibilité, pour un « professionnel exerçant », d’avoir une détention indirecte au capital de la SEL par le biais d’une SPFPL.
Concernant les règles de détentions minoritaires, l’ordonnance reprend les catégories de personnes autorisées à détenir le capital à savoir :
- les professionnels exerçant la profession constituant l'objet de la société ;
- pendant 10 ans, les associés personnes physiques ayant exercé leur profession au sein de la société, sous réserve qu’ils ne fassent pas l'objet d'une interdiction d'exercice de la profession ou de l'une des professions formant l'objet de la société ;
- pendant 5 ans suivant leur décès, les ayants droit des personnes physiques mentionnées supra ;
- une SPFPL ;
- une personne exerçant une profession libérale réglementée de la même famille que celle mentionnée dans l'objet social ;
- des personnes, physiques ou morales européennes, dont l'activité constitue l'objet social de la SEL.
L’ordonnance a repris également la possibilité, en l'étendant aux SEL de professions juridiques et judiciaires, d’interdire par décret à certaines personnes de prendre une participation pour des raisons liées à l’indépendance de la profession (article 48).
Renforcement de l’information annuelle des autorités compétentes
L’ordonnance a renforcé les informations devant être communiquées annuellement par la SEL à l’autorité ou à l’ordre professionnel dont elle relève, afin de permettre le contrôle de la conformité aux textes.
Ainsi, depuis le 1er septembre 2024, sans préjudice des dispositions spécifiques à chaque profession, la société devra adresser, une fois par an, à l'autorité compétente en matière d'agrément ou d'inscription à l'ordre professionnel dont elle relève :
- un état de la composition de son capital social et des droits de vote afférents ;
- une version à jour de ses statuts ;
- les conventions contenant des clauses portant sur l'organisation et les pouvoirs des organes de direction, d'administration ou de surveillance ayant fait l'objet d'une modification au cours de l'exercice écoulé. Cette dernière obligation concerne les modifications afférentes aux pactes d’associés portant sur la gouvernance de la société.
Pour chaque profession, les modalités d'application de cette procédure d'information peuvent être précisées par décret.
Instauration d’un droit de retrait au sein des SEL
L’ordonnance introduit la faculté de prévoir dans les statuts d’une SEL un droit de retrait de l’associé, et ce, à défaut de dispositions prévoyant les modalités de retrait dans les lois et règlements particuliers à chaque profession.
Les rédacteurs de l'ordonnance sont ainsi revenus sur la jurisprudence de la Cour de cassation du 12 décembre 2018 (Cass. 1re civ. N°17-12.467) qui avait refusé à un associé d’une SELARL le droit de se retirer unilatéralement de la société, peu important les dispositions statutaires de ladite société.
En conséquence, les associés de SEL ne bénéficieront, à présent, d'un tel droit que si les statuts le prévoient et sous les conditions posées par ces derniers.
Le cas particulier de l’exercice en commun d’une profession libérale sous forme de société de droit commun.
L’ordonnance a précisé que, le texte s’applique également lorsque la profession libérale est exercée sous la forme d’une société de droit commun (SARL, SA, SAS, etc..).
Ces sociétés de droit commun doivent ainsi se mettre en conformité conformément à l’ensemble des dispositions de l’ordonnance du 8 février 2023, exception faite de la disposition relative à l’obligation d’indiquer le terme SEL et d’indiquer la profession exercée au sein de leur dénomination sociale.
Comme pour les SEL, les sociétés de droit commun auront jusqu'au 1er septembre 2025 pour se mettre en conformité avec les exigences de l'ordonnance, à l'exception de celles relatives aux informations que toute SEL devra communiquer à l'autorité ou à l'ordre professionnel dont elle relève - lesdites communications devant être réalisées à compter du 1er septembre 2024.
À noter
Des guides pratiques ont été élaborés pour chaque famille de profession afin d'accompagner les professionnels dans la mise en œuvre des nouvelles règles.
Nos équipes restent à votre disposition pour tout complément d’information concernant ce sujet et pour tout conseil ou appui lié à la mise en conformité de votre société.
Ludivine Rigollet
Avocat
ludivine.rigollet@oratio-avocats.com