La vieillesse est parfois malheureusement associée à l’isolement familial et amical, les seuls contacts sociaux de la personne âgée pouvant se réduire aux visites des personnels soignants et aidants dans les tâches quotidiennes. Elle se retrouve alors exposée au risque d’abus de sa faiblesse et de captation de son patrimoine lorsque certains membres de ce personnel aidant se trouvent mal intentionnés.
Pour la protéger et protéger ses héritiers, la loi prévoit des incapacités de recevoir une libéralité, donation, don manuel ou legs, concernant certains personnels aidants.
Pour autant, la personne âgée peut avoir à cœur de gratifier ceux qui ont été présents au-delà de ce qu’exigeait leur dévouement professionnel. La loi a dû aménager un équilibre entre ces exigences, qui a été remis en question.
Les professionnels qui apportent leur aide aux personnes âgées peuvent être concernés par plusieurs dispositions légales lesquelles les déclarent incapables de recevoir des libéralités.
Cette incapacité légale couvre de nullité les actes de donation ou testament que la personne âgée pourrait leur consentir. La jurisprudence étend l’application de ces règles aux contrats d’assurance-vie, qui ne sont pas des libéralités à proprement parler mais dont l’usage repose également sur la volonté de transmettre son patrimoine à titre gratuit.
En raison de la diversité des textes prévoyant ces incapacités et de la remise en cause de certains d’entre eux, la fonction précise du professionnel doit être identifiée.
Lorsque le professionnel apporte un service médical à la personne assistée, l’incapacité de recevoir résulte de l’article 909 du Code Civil. Les médecins, infirmières, aides-soignantes ne peuvent ainsi pas bénéficier de libéralités consenties par le défunt (sauf hypothèses spécifiques des libéralités rémunératoire ou faites au professionnel médical parent du patient).
L’incapacité est toutefois enfermée dans ces conditions strictes qui se cumulent.
Le professionnel de santé doit avoir apporté des soins au défunt. Le défunt pourra ainsi gratifier le médecin de sa connaissance qui ne l’a pas soigné et n’est pas frappé d’incapacité du seul fait de sa profession.
Les soins prodigués doivent concerner la maladie qui a entraîné le décès du défunt. L’infirmière ayant soigné le défunt pour un opération bénigne 10 ans avant son décès ne sera pas concernée.
La libéralité doit avoir été consentie par le défunt alors qu’il était atteint de la maladie qui a entraîné son décès et qu’il recevait les soins de la personne gratifiée. Le testament rédigé 5 ans avant le début de la pathologie fatale ne sera pas impacté.
Ces conditions procèdent de la volonté d’entraver au minimum la libre disposition par le défunt de son patrimoine tout en le protégeant des abus dont il pourrait être victime alors qu’il est en fin de vie et qu’il présente une vulnérabilité particulière.
Lorsque le service apporté à la personne n’est pas médical, il peut relever de l’aide à domicile.
Ces professionnels étaient concernés par une incapacité à recevoir prévue à l’article L 116-4 du Code de l’action sociale et des familles.
Cette incapacité est également bornée. Il est exigé que l’aide à domicile gratifié fournisse ses services au défunt à la date à laquelle la libéralité a été consentie. La libéralité consentie avant ou après la période des prestations n’est pas concernée.
Cette disposition a été introduite par la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, aussi appelée loi contre la captation d’héritage.
L’incapacité concernant les aides à domicile n’existait pas auparavant. Elle n’est applicable qu’aux libéralités consenties postérieurement à son entrée en vigueur, le 30 décembre 2015 (Civ 1, 23 mars 2022, n°20-17663, à noter que la Cour d’appel de PARIS cassée en l’espèce retenait jusqu’à cet arrêt la date du décès comme date charnière d’application de la loi et non la date de la libéralité, induisant par là même un effet rétroactif à la loi que la Cour de cassation condamne).
Cette incapacité souffrait toutefois de deux vices de conception majeurs, qui ont limité puis anéanti ses effets.
D’abord, elle ne visait que les aides à domicile, ou, pour reprendre les énonciations exactes du texte, les « personnes physiques propriétaires, gestionnaires, administrateurs ou employés […] d'un service soumis à agrément ou à déclaration mentionné au 2° de l'article L. 7231-1 du code du travail », savoir, selon ce dernier texte, les personnes ayant pour activité « 2° L'assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux autres personnes qui ont besoin d'une aide personnelle à leur domicile ou d'une aide à la mobilité dans l'environnement de proximité favorisant leur maintien à domicile ; ».
La jurisprudence a eu à préciser ce que recouvre l’aide personnelle à domicile et a affirmé qu’elle excluait les activités de ménage et d’entretien.
Cette distinction peut questionner. Elle était en réalité inéluctable puisque l’article L 7231-1 du Code du travail visé distingue clairement les deux et vise à son 3° « Les services aux personnes à leur domicile relatifs aux tâches ménagères ou familiales. ».
Par suite d’une erreur de rédaction du renvoi de texte probablement, le 3°, qui concerne les personnels d’entretien, n’est pas concerné par l’incapacité à recevoir.
Forte de cet oubli, une jurisprudence foisonnante s’était développée sur la question de déterminer le contenu exact des fonctions assurées au domicile du défunt : s’agissait-il d’activité de ménage et d’entretien uniquement, auquel cas les libéralités consenties étaient parfaitement valables, ou bien des fonctions d’aide à la personne étaient-elle également assurées, auquel cas les libéralités étaient nulles.
Cette distinction artificielle et sans justification, l’aide à domicile n’étant a priori pas davantage susceptible d’abuser du défunt que le personnel d’entretien, appelait une réécriture du texte.
Le Conseil constitutionnel a été au-delà, en raison d’un second défaut de conception.
Cette disposition a été déclarée inconstitutionnelle par une décision du Conseil constitutionnel rendue le 21 mars 2021 (2020-888 QPC). Le Conseil retient que la vulnérabilité de la personne ayant consenti la libéralité ne peut être déduite du seul recours à une aide à domicile.
De fait, il fallait mettre fin aux services de l’aide à domicile pour pouvoir consentir une libéralité valable même lorsque l’on se trouvait en pleine possession de son jugement et que l’on pouvait avoir tissé des liens personnels avec l’aide à domicile justifiant de la gratifier.
Le Conseil constitutionnel juge cela contraire au droit de disposer librement de ses biens.
L’incapacité de recevoir de l’aide à domicile est abrogée. Elle ne s’applique plus à compter de la publication de la décision du Conseil au journal officiel, soit à compter du 13 mars 2021.
Seront donc valables les libéralités consenties postérieurement à cette date à l’aide à domicile du défunt.
En réalité, le Conseil constitutionnel n’exclut pas toute incapacité à recevoir concernant les aides à domicile, mais exige que la loi borne cette incapacité de manière précise, à l’image des conditions posées à l’application de l’incapacité des personnels médicaux (Conseil constitutionnel, 29 juillet 2022, n°2022-1005 QPC) pour ne pas amputer excessivement le droit de disposer de ses biens de la personne âgée.
Pour l’heure, le rétablissement de l’incapacité des aides à domicile n’a pas été proposé, malgré l’examen en cours de la future loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l’autonomie qui comporte des volets relatifs à la protection des personnes âgées contre les maltraitances et aux aides à domicile, mais aucun relatif aux libéralités.
Les héritiers qui identifieraient une donation, des dons manuels ou un legs consenti à une aide à domicile qui aurait abusé de la vulnérabilité du défunt n’ont d’autre recours que les voies de droit ouvertes contre toute personne mal intentionnée, avec des perspectives de résultat plus limitées.
Là où la simple preuve des services apportés au défunt à la date de la libéralité suffisait, ils devront établir une altération des facultés mentales du défunt, une manipulation constituant un dol ou la violence psychologique ou physique subie, avec toutes les difficultés probatoires que cela suppose.
L’assistance d’un avocat leur sera plus qu’indispensable pour évaluer les chances de succès d’une procédure judiciaire.
Marion Barré
Avocat
marion.barre@oratio-avocats.com