«Un effet domino»: l'inquiétante hausse des faillites de grosses PME
Dépassant le simple rattrapage post-Covid, la hausse du nombre de défaillances d’entreprises inquiète les observateurs.
Dépassant le simple rattrapage post-Covid, la hausse du nombre de défaillances d’entreprises inquiète les observateurs.
Dépassant le simple rattrapage post-Covid, la hausse du nombre de défaillances d’entreprises inquiète les observateurs.
Depuis plusieurs mois, la rengaine est la même : la hausse des faillites d’entreprises n’est que l’effet d’un retour à la normale post-Covid.
La Banque de France - qui a publié lundi les chiffres des défaillances d’entreprises pour le mois de juin -, répète ce refrain : la hausse des défaillances sur un an, à 61 081, n’est pas de nature à inquiéter. Même si les faillites dépassent la moyenne de 59.342 en‐registrée entre 2010 et 2019, la tendance ne serait due qu’à une « stabilisation », après un simple rattrapage du «retard de dé‐faillances» dû à la crise sanitaire et au soutien important de l’État au monde entrepreneurial.
Un discours rassurant, qui omet néanmoins un point qui inquiète le milieu des affaires : la hausse significative des faillites de grosses PME et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI). Alors qu’on comptait une moyenne de 330 défaillances annuelles dans la première catégorie entre 2010 et 2019, la Banque de France en dénombre 466 à fin juin 2024. Soit une hausse de 41,2 %. La tendance est plus marquée encore du côté des ETI, avec une hausse de 69,7 % par rapport à la moyenne recensée entre 2010 et 2019. Ainsi, aux yeux de François Desprat, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ), «s’il y a un petit effet rattrapage qui joue dans les chiffres, il semble que l’on ait dépassé le seul retour à la normale». Ce constat s’appuie sur l’évolution des indicateurs de procédures collectives publiées par le CNAJMJ, qui montrent qu’entre le 1er janvier et le 30 juin 2024, 33.493 entreprises sont entrées en défaillance, en hausse de 18 % par rapport au premier semestre 2023. Cela marque surtout une augmentation de 20 % par rapport aux standards enregistrés sur la même période en 2018-2019.
De quoi alimenter les inquiétudes des administrateurs et mandataires judiciaires, le CNAJMJ notant que, «sur 12mois glissants, le nombre de défaillances pourrait dépasser les 65.000», soit un niveau dépassant les records de 2009 et 2015. «La situation est un peu inquiétante, avec des remontées de terrain montrant que les trésoreries sont de plus en plus tendues», reconnaît François Desprat, qui souligne que «les chiffres concernant les plus grosses entreprises ont doublé en matière de défaillances, et c’est un signe».
«La dégradation conjoncturelle se ressent trimestre après trimestre», reconnaît Frédéric Coirier, patron du groupe Poujoulat et coprésident du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti). Si, pour les ETI, entreprises dynamiques et importantes pour la richesse du tissu économique français, les années 2022 et 2023 ont été favorables, l’année 2024 a marqué le début d’une dégradation de la situation, plus marquée encore ce dernier trimestre.
La moitié des ETI estiment ainsi que leur rentabilité d’exploitation s’est dégradée en un an, selon le dernier baromètre Palatine-Meti. En conséquence, 56 % des dirigeants interrogés font état d’une baisse de confiance dans les perspectives de leur entreprise, contre seulement 36 % en mars dernier. «Dès lors que la rentabilité baisse, que des difficultés de financement apparaissent, que 36%des ETI font état d’une situation de trésorerie dégradée - c’est 10 points de plus qu’en mars -, on constate que les risques de sinistralité sont plus importants», alerte Frédéric Coirier.
Une situation qui ne devrait pas s’améliorer avec la crise politique que traverse la France. La dissolution a fait perdre «un trimestre de croissance» à la France, du fait de la perte de confiance des consommateurs et des entrepreneurs dans l’économie, annonçait François Asselin, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), début juillet sur le plateau de BFM Business.
«Nous y verrons plus clair dans quelques semaines, mais en attendant, nous vivons une période où peu de décisions se prennent, où les investissements sont mis en pause, conforte le coprésident du Meti. Et l’économie pâtira de cet attentisme.» Mais l’instabilité risque de se poursuivre au vu des résultats des élections législatives, avec une Assemblée nationale sans majorité absolue.
«Les entreprises sont inquiètes, les consommateurs sont inquiets», confirme Me Guillaume Clouzard, avocat d’affaires chez Oratio Avocats, qui constate une hausse du nombre de dossiers d’entreprises en difficulté sur son bureau, notamment du côté des ETI. Or «cela a un effet domino important, car quand de grosses structures tombent, cela fait tomber les plus petites. À partir du moment où on a une restructuration ou des défaillances sur des ETI ou de grosses PME, c’est toute la chaîne de la sous-traitance qui est touchée. Par effet de cascade, les délais de paiement augmentent, ce qui met en difficulté d’autres entreprises», poursuit l’avocat.
Selon le dernier baromètre réalisé par le cabinet de juristes d’affaires ARC, 77 % des entreprises estiment que l’allongement des délais de paiement est une variable d’ajustement qui permet de se constituer une trésorerie, quand les difficultés s’accumulent.
«Lorsque les entreprises - notamment les plus grandes -, ren‐contrent des difficultés, parfois le seul moyen de s’en sortir est d’allonger les délais de paiement, ce qui menace nombre de TPE et PME», constate Denis le Bossé, le président du cabinet ARC.
Pour ce bon connaisseur des entreprises, cette dégradation s’explique par l’accumulation de dettes post-Covid, couplée à une baisse d’activité que ressentent les entreprises dans tous les secteurs. «Des ETI ne vont pas bien, parce qu’elles ont accumulé des dettes après le Covid: dettes sociales et fiscales, remboursement des PGE… Tout cela constitue un mur auquel s’ajoutent les difficultés courantes liées à la conjoncture, mais aussi les augmentations concédées aux salariés ou encore la hausse des taux d’intérêt. Et dès lors qu’un grain de sable entre dans l’engrenage, ça propulse les entreprises vers des difficultés », ajoute Denis Le Bossé, qui se refuse néanmoins à tomber dans le pessimisme.
«Le nombre d’entreprises en défaillance n’est pas anecdotique, mais il ne faut pas généraliser: il s’agit de quelques entreprises, mais ce n’est pas l’économie française dans son ensemble qui est à terre», tempère celui qui plaide pour une meilleure anticipation des difficultés.
Pour consulter l’ensemble de cet article paru le 08 juillet 2024 sur le site www.lefigaro.fr, cliquez-ici.
Les informations indiquées dans cet article sont valables à la date de diffusion de celui-ci.
Guillaume Clouzard
Avocat associé
g.clouzard@oratio-avocats.com